Effets de la peur sur le négociateur
Quelle négociatrice, quel négociateur peut se targuer de ne jamais l'avoir ressentie dans son ventre, au fond de sa gorge bien nouée, oppressante comme un étau dans sa cage thoracique, incontrôlable et vibrante dans la voix, les mains, les jambes tel un pantin désarticulé, coulant glacée sur son épine dorsale et sur ses tempes battantes.
Voilà une émotion qui fait partie de notre héritage le plus archaïque. Système d'alarme ultra perfectionné situé dans les parties du cerveau reptilien et limbique à l'arrière du crâne et actionnées automatiquement à l'approche du danger. Placée tout en haut sur l'étagère des sept émotions universelles, elle devient à la fois alliée et puissante ennemie des négociateurs les plus chevronnés, déclenchée par le sentiment de perte, d'infériorité, de tout ce qui va percuter violemment une valeur, un intérêt profond.
Des effets visibles aux troubles déformants :
Plusieurs niveaux de peur(s) doivent alors être distingués, huit si l'on s'en réfère à l'Atlas des émotions de Paul Eckmann avec des effets plus ou moins visibles et des troubles pouvant provoquer l'effondrement du négociateur.
Bien évidement, cette émotion fonctionnera pour nous mettre en alerte dans un premier temps mais sa montée en puissance fera passer le ciel paisible du négociateur en un ouragan parfois dévastateur. Quelques effets facilement détectables ( et non exhaustifs ) vous permettront d'en saisir les degrés et les nommer:
- Inquiétude : signaux de faible intensité pouvant se traduire par un questionnement des conséquences, des micro expressions allant des mordillements de lèvres aux frottements de mains, pincements de doigts
- Nervosité : à géométrie variable en fonction de l'échelle d'hyper-tonicité gestuelle des individus mais aussi des cultures, elle provoque une tension des épaules parfois nette, des mâchoires serrées, des déglutitions plus nombreuses, de l'agacement entre autres signaux.
- Anxiété: Le sentiment devient ici plus diffus avec de l'irritabilité et des effets d'impulsion lorsque la situation devient défavorable accompagnée d'une perte de concentration plus marquée, un impact sur la qualité d'écoute et le continuum du processus de compréhension de la négociation. Palpitations liés à l'augmentation du rythme cardiaque, accumulation de lymphe sous les paupières inférieures avec apparition de cernes, mains moites, sensation d'estomac noué, de gorge serrée...
- Crainte: Souvent reliée aux pertes potentielles, à la sur-représentation de l'autre ou la sous estimation de ses propres capacités, induisant certains biais cognitifs tels que la confirmation et la croyance, les effets de halo liés à un rôle hiérarchique par exemple et autres. Observable par une posture plus prostrée et fermée parfois un visage serré par la crispation, un regard figé.
- Désespoir : Grande perte d'adhérence sur la confiance en soi, effets de tunnel et incapacité à se projeter, à créer, abandon du mandat, concessions rapides accordées, désistement. Parfois observable par des postures de poids sur les épaules, de souffle court et d'obnubilations.
- Panique: Caractérisée par un stade paroxystique de l'angoisse, le négociateur ne sera plus en mesure de réfléchir, emporté par un typhon émotionnel, suffoquant, tremblant, transpirant et incapable de former une phrase cohérente. Cette phase survient souvent brutalement pour disparaître après 20 à 30 minutes. Agitation parfois incontrôlée pouvant, à l'inverse aussi, statufier littéralement le négociateur le rendant inerte.
- Horreur et terreur : Très peu fréquentes dans les situations de négociation professionnelle ( séquestrations, prises d'otages, violences ) , ces deux stades affichés sont fréquemment traduits par la sidération complète, l'effroi, les effets paralysants voire la tétanie dans l'action.
"Géo-localiser" sa peur :
Alors, ou se trouve donc l'interrupteur, comment éteindre et couper le courant avant l'électrochoc? Non, il n'existe aucun moyen de couper la peur mais de nombreuses parades à tester durant l'accès:
Première parade : distinguer l'endroit du corps qui vacille lorsqu'il reçoit les premières secousses en gardant en tête qu'elles sont un signe et non pas ce que nous sommes, elles sont le signal d'alarme que nous allons tenter de régler dans son intensité.
Deuxième parade: Se concentrer sur sa respiration et utiliser les techniques de respiration adéquates pour faire diminuer son pouls. La cohérence cardiaque, la respiration abdominale, avec visualisation, en rythme alterné sont autant d'antidotes puissants qui vous remettront en "ordre de marche et de fonctionnement" pour continuer à négocier.
Troisième parade: Suspendre - interrompre la séance de négociation, demander un temps de ré-ajustement de son mandat. Les négociateurs n'y songent pas toujours, entrainés inexorablement dans le résultat à cour terme, l'accomplissement coute que coute quitte à sacrifier de la valeur et obtenir un résultat peu ou pas satisfaisant.
Quatrième parade : Activités sportives et autres. Saviez-vous que notre ministre de l'économie pratique le footing avant des négociations à forts enjeux, qu'une de nos ministres du travail quant à elle pratiquait la méditation et le yoga avant les séances à l'assemblée nationale, que Churchill quant à lui prenait conseil auprès de son épouse Clementine dans les moments les plus sombres et difficiles !
De l'autre côté de la peur
Il existe une vertu qui forge les grands négociateurs, les décideurs politiques les plus vaillants pour affronter les tempêtes les plus violentes, les décisions les plus dures; le courage accompagné de son acolyte la responsabilité.
Le courage de préparer ses négociations, de reconnaitre cette émotion claudiquant à vos côtés pour vous empêcher d'avancer, de vous recentrer sur votre mandat, de garder en mémoire qu'il existe un pourquoi à chaque peur et un antidote que vous n'avez peut être pas encore trouvé et vous rappeler, la responsabilité d'assumer ses erreurs et ses peurs et de garder à l'esprit cette phrase d'Aristote en son temps; le courage est le juste milieu entre la peur et l'audace !



